Marchant sans but dans les ruelles de la vile, je erre telle une âme en peine. Faire les quatre cents coups ne m'amuse plus, ces temps-ci. Je n'ai plus le goût aux farces, ni à la persécution des humains. Passant une main dans ma chevelure d'un violet sombre, je soupire. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Serais-je arriver à cette fatale crise de la centaine, si redoutée chez les démons ? Il est vrai que je n'ai plus goût à grand chose. Les meurtres n'ont plus autant d'attrait à mes yeux, la vue du sang me laisse de marbre et les gosses mal élevés ne font plus monter en moi des envies de meurtre. Je suis devenu banal, horriblement ennuyant et ennuyé de la vie. Je me demande si je ne ferai pas mieux de rentrer dans ma contrée, histoire de me ressourcer au calme. Sans doute le contact humain m'affaiblit-il. Oui, ce doit être cela. Ou pas.
Je m’arrache les cheveux par poignée et, à ce rythme là, je ne tarderai pas à être chauve, usé et incompétent. Autant me pendre maintenant. Nouveau soupir, nouveau nuage de buée argentée.
Réfléchir à tout ceci ne m'aidera pas, je le sais. Je suis plus du genre à trouver la solution lorsque je m'y attends le moins, dans mon bain par exemple. J'ai besoin de silence, de paix et de détente. Sinon, je suis un bon à rien, une boule de nerfs à fleur de peau. Je shoote dans un caillou puérilement.
« Mais par les rois démoniark, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? J'ai arraché des têtes, volé, menti et bu le sang de mes victimes. J'ai causé les incendies les plus spectaculaires, les catastrophes naturelles les plus dévastatrices. Alors, bon sang de lutin démembré, qu'est-ce qu'on me reproche, hein ?! »
Heureusement, j'ai choisi de passer par des petites rues peu ou pas fréquentées. Ainsi, je peux pester autant que je veux sans passer pour un frappe à dingue. Ce qui m'arrange. Parce que déjà qu'être un démon n'est pas tous les jours réjouissant _oui la puissance c'est col, oui la magie presque illimité c'est pas mal aussi mais les regards effrayés et les cris perçants « Vouêtesundémonausecouuurs !! » me tapent sur le système_ alors si en plus je suis catégorisé parmi les fous à mettre en asile....Non, ma vie deviendrait infernale. Un démon avec une vie infernale...Blague pourrie.
J'étouffe parmi ces passages étroits et sombres. Il paraît que les personnes déprimées cherchent l'obscur, les grottes où se terrer pour épancher leur chagrin. Typique humain. J'ai envie d'air frais, chose que je ne trouverais pas ici. Je m'accroupis, colle les bras contre mon corps et saute. Avec un sort d'air, je m'élève plus haut, toujours plus haut, jusqu'à atterrir sur un toit à sept mètres du sol. J'adore l'architecture ici. Les habitations jouent des coudes pour s'élever vers le ciel, m'offrant un terrain de jeu parfait. Léger, aérien, je saute de toitures en toitures, glissant sur les tuiles rougeâtre. Le nez pointé vers le ciel, j'admire l'épaisse couche nuageuse ponctuée de ci de là par des coins de bleu azur. Trop occupé à noyer mes pensées négatives dans cette étendue laiteuse, je ne fais pas attention à où je mets les pieds et me retrouve à buter contre une tuile mal placée.
« Aah ?! » Ai-je tout juste le temps de m'étonner avant de me sentir chuter.
En une seconde, je me retrouve la tête en bas, les bras ballants, retenu par le bout recourbé de mes étranges bottes. C'est dans ces moment-là que je m'adore, moi et mes choix vestimentaires décrits comme « fautes de goût horripilantes ». Maintenant, qu'on vienne me dire que ma tenue n'est pas autrement utile que classe, hein ?
Tel un vampire en plein sommeil, je me balance doucement. Tiens, la tête en bas, je réfléchis mieux. Mes idées sont claires et limpides.Il faudrait que je refasse cette position chez moi. Peut-être au-dessus de ma verrière ? Mmm..
Je suis stoppé dans mon élan d'imagination par la vue d'une personne de profil qui ne m'a sans doute pas aperçu. Je ricane en imaginant la vue que je m'apprête à lui offrir, ainsi que l'arrêt cardiaque probable..