Le froid glacial de l'hiver est un véritable fléau pour moi. Douillet, je suis plutôt un habitué des flammes éternelles des volcans et passe généralement mes vacances, ou mon temps libre, près des côtes ensoleillées. Mais voilà, l'hiver, c'est bien connu pour réussir à s’implanter partout, même dans les déserts les plus arides qu'il puisse exister en Merbaille. Foutu saison. Si j'avais le pouvoir d'y changer quelque chose, il est certain que j'aurai depuis belle lurette foutu un coup de pied aux fesses de ce vieillard à la barbe aussi blanche que cette foutue neige ! A cause d'elle, ne voilà t-il pas que j'ai malencontreusement chuté dans les escaliers de sortie de mon bar préféré, m'attirant des rires et des moqueries. Je hais l'hiver. Un point c'est tout. Pour couronner le tout, je suis chez moi, dans mon lit, TROIS couvertures sur le dos et un rhume CARABINE allié à un mal de tête AFFREUX ! Plus aphone, histoire de bien terminer. Qu'est-ce que je disais, déjà ? Ah oui. Je conchie l'hiver jusqu'à la énième génération.
Misérablement gémissant, avachis une bouillotte aux pieds et un sac de neige fondue sur le front, je fais le mort. La goutte au nez, je suis trop courbaturé pour attraper une boîte de Mouche-Noire salvatrice. Je me contente de renifler de temps à autre tel un chien, piteusement. Je me fais honte. Moi, le grand, le sublime démon Khlyriël Sysha, cloué au lit par une grippe. On aura tout vu.
Je grince des dents, comptant les heures avant ma guérison, vivant au rythme de la chute des flocons comme une larves grotesque que je suis devenu. Beuurk ! Je déteste les larves et tout animal rampant. Ce n'est pas parce que je suis une créature démoniaque que j'aime forcément ces choses gluantes peu reluisantes et franchement dégoûtantes. Non, très peu pour moi. Alors vous imaginez bien que la course larvesque et moi ne sommes pas en très bon terme. A vrai dire, je n'y ai jamais été une seule fois en presque un siècle d'existence, et je m'en porte d'auuuutant mieux ! Oui, oui.
Dehors, c'est le silence complet. Les oiseaux ne chantent pas, recroquevillés dans leur abris dans la même hâte que moi de voir enfin ce temps pourri disparaître. Je n'ai pas reçu une seule visite ; non pas que j'ai de toute façon un quelconque 'ami' sur qui compter. Je ne suis pas assez...assez humain, dirons-nous, pour me montrer sur mon meilleur jour sans un but précis en tête. Ah bas oui, un démon n'est pas réputé pour son grand cœur.
Mon estomac gargouille, me sortant de ma phase 'contemplation-de-la-neige-tout-en-la-fusillant-du-regard'. Je ne sais que faire. Mon corps tout entier réclame que je reste couché, trop bien installé dans ce cocon protecteur qu'est mon lit. Seulement, la symphonie de Tchaïkovski joué par mes entrailles est insupportable. Ca me tiraille, ça me fait gigoter. J'ai beau calmé ses ardeurs en me massant le ventre, rien à faire. Décidé, je grogne tout en me levant avec précaution. Comme un petit vieux de deux cents ans, c'est courbé que je rejoins à pas lents la cuisine, vaste espace carrelé et peint en jaune. Dans tout ma maison, les différentes pièces sont de couleurs chaudes, pour tenter d'amener un petit rayon de soleil pendant les jours froids. Exit, les teintes trop sombres. Le vert pomme, les teintes pastelles sont bienvenues, tout de même. Mais juste en objet de décoration.
J'allume le feu d'un claquement de doigt, sors une poêle et la mets dessous. D'un mouvement souple du doigt, j'attire à moi des aliments qui viennent tout doucement se poser dans le récipient, lavés et coupés en dés. Pendant que les légumes cuisent, je m'occupe de la sauce. Je la prépare moi-même. Onctueuse, parfumé, elle est tout simplement par-faite ! Je souris en la versant par dessus la poêlé et attends que le tout mijote encore un peu. Je baisse le feu à son minimum et m'installe sur l'une des quatre chaises disposées de par et d'autre de la table carrée orange kaki. Un journal est posé dessus. Je fronce des sourcils. Ce n'est pas dans mon genre de laisser traîner des affaires. Même si j'aime bien le désordre, c'est plus un désordre psychique que visible. J'aime quand les esprit sont confus, que les idées fusent dans tous les sens tels un feu d'artifice. Des explosions, de la fumée, un grand feu de joie puis plus rien, avant que la fête reprennent un peu plus loin. Mais lorsque quelque chose est hors de sa place, je n'aime pas. Mes doigts fourmillent de le ranger, de redresser les cadres, de passer un chiffon sur la poussière.
Ma soupe prête, je fais lentement tourner ma cuillère dedans, appréciant sa texture veloutée. Je la lappe lentement. Toutes les saveurs explosent dans ma bouche, véritable festival. Aahh ! J'adoore.
Je sens mes forces revenir peu à peu. Une tasse de Chochalat et me revoici d'attaque. J'ai envie, subitement, de sortir me dégourdir un peu les jambes avant que la nuit tombe.
Je me prépare en vitesse et sors deux heures plus tard dehors, affrontant courageusement le froid avec une grande écharpe, une cape fourrée et des vêtements chauds. Je marche au grès du vent, ne prenant pas trop attention à la direction prise. Je ne me suis jamais perdu dans cette ville. Il est facile de retourner sur ses pas, raison pour laquelle j'aime particulièrement cette contrée.
La foule est dense, aujourd'hui ? Je me demande ce qu'il se passe. Le brui qu'elle fait explosent mes pauvres oreilles et résonne désagréablement dans ma tête. Je me décide rapidement à la quitter, empruntant un chemin parallèle.
Enfin au calme, je réalise alors que je ne me suis jamais trouvé ici. Décidé à explorer un peu les environs, mes bottes claquent sur les pavés à un rythme régulier. Mon parapluie au bras, je le fais tournoyer dans les airs, un sourire enfantin sur les lèvres. J'arrive à un cul de sac, bien embêté. Déjà fini ? Je ne me suis pas amusé bien longtemps...Mais heureusement pour moi, le cul de sac mène à une boutique un peu miteuse. L'enseigne en bois vermoulu se balance tristement au bout de sa chaîne, indiquant le nom de l'établissement. 'Au champignon dansant.' Drôle de nom. Curieux, je m'approche un peu plus du bâtiment jusqu'à entrebâiller la porte, faisant tinter une clochette...